La lutte contre le racisme et contre le colonialisme sont au cœur de l'histoire de notre école, engagée pour l’indépendance du Vietnam et la promotion de son art martial à l'international. Toutefois, la situation a évolué depuis sa création : d'un maître vietnamien, transmettant son art en France à un noyau d'élèves dans la perspective de militer pour l'indépendance de son pays, ses disciples (la Commission Technique) lui ont succédé et sont désormais garants de la technique et de la vision du maître. Dans sa volonté de promouvoir l'art martial vietnamien et de développer son école, si « le Võ c'est pour tout le monde », les Võ Sinhs (pratiquants) à l'international sont alors racialement mixtes avec seulement une minorité de personnes de descendance vietnamienne – et il en va donc de même pour le collège enseignant. Ce qui nous place, nous professeurEs, dans une position délicate ; en effet le statut de professeurE d'un art originaire d'une culture colonisée par la France constitue une forme d'appropriation culturelle d'un point de vue systémique. Dès lors, comment appréhender cette situation ?
D'une manière ou d'une autre, le maître Mộc a dû réfléchir à cette considération si l'on analyse les conditions de transmission de son école :
Les professeurEs sont bénévoles et œuvrent à développer l'école avant toute promotion personnelle. "ProfesseurE" est un grade d'interne à l'école, visible au Võ Phục (habit) marron, donnant accès à l'ensemble de la technique, et est synonyme d'investissement et d'engagement signé à respecter ce contrat de valeurs et faire perdurer la chaîne de transmission en enseignant. Si leur statut est indissociable d'un certain capital social, iels ne tirent toutefois pas plus de bénéfice que tout Võ Sinh transmettant son art.
ProfesseurEs comme élèves, le Đạo đức (« La voie de la vertu est notre fondement. Loyauté, civilité, sagesse sont nos guides. ») est prépondérant ; se comporter dignement, respecter ses professeurEs et camarades, avoir une bonne moralité dans et en-dehors de l'école sont des pré-requis à l'accès à la technique. La compréhension de l'esprit et des valeurs de notre école, et donc de l'histoire de notre technique fait partie intégrante de la transmission.
La préoccupation de ne pas se couper de ses racines guide toujours la Fédération Internationale de Võ Vietnam (FIVV), conformément à la volonté de son fondateur. Celle-ci maintient ainsi le lien avec le Vietnam en ayant fait en sorte que le maître Mộc repose avec sa famille (que la FIVV continue de soutenir notamment financièrement), par son contact avec les différentes écoles et maîtres de Võ (avec la ligue de Hanoï par exemple), par l'ouverture d'une salle à Hanoï et la formation de professeurEs de notre école là-bas, ainsi que par des voyages martiaux au Vietnam récurrents.
Par ailleurs, il convient de noter que ces conditions ont permis l'accès à cet art de personnes précaires, opprimées et/ou minorisées, en particulier à Toulouse considérant l'ancrage du club dans la communauté queer. Le Võ, qui a historiquement permis au peuple Vietnamien de se défendre contre ses oppresseurs, continue ainsi de jouer ce rôle pour d'autres communautés opprimées, en restant un art populaire.
Cependant, la question de l'apparence culturelle demeure. Si notre école est une Môn Phaï, une école traditionnelle vietnamienne, nous ne sommes plus du temps du maître Mộc qui transmettait sa culture. De la même manière que notre structure a pu évoluer (il n'y a plus un maître mais un collège d'expertEs), quid du symbole que nous portons ?
Nous ne sommes en effet pas une association culturelle vietnamienne, mais tout au plus les dépositaires du savoir-faire de maître Nguyễn Đức Mộc. Or, nous continuons de nous entraîner en Võ Phục, à utiliser des noms vietnamiens, à arborer des symboles de cette culture. Cela, de la part de personnes n'étant pas de descendance vietnamienne, et qui plus est de la part de personnes blanches, est au mieux gênant, sinon violent pour les personnes descendant de cette culture. S'il est bien entendu hors de question d'oublier notre histoire en ne conservant que la technique (il s'agirait en effet d'appropriation coloniale), est-ce une solution complètement satisfaisante de continuer à l'identique de l'époque du maître à arborer la culture vietamienne ? Pour l'heure, la FIVV continue de faire vivre l'héritage technique et idéologique du maître Mộc et s'en réfère au Vietnam, où elle entretient de très bons rapports avec les ligues d'arts martiaux du pays, qui apprécient notre participation à conserver cet art qui a failli disparaître (du fait de la colonisation française) et à promouvoir l'amitié entre les peuples.